«Guerre commerciale»: Les travaux d’infrastructures, une solution?
Quel sera l’effet des tarifs de Donald Trump?
Pour contrer la hausse des tarifs décrétée par le président Trump, Québec envisage d’investir massivement dans les infrastructures.
par Stéphane Desjardins
Même si le déficit d’entretien des actifs publics québécois atteint un niveau record, même si les tarifs entrent (ou pas) en vigueur, même si on prévoit plus de 160 000 pertes d’emploi au Québec le cas échéant, on peut se questionner sur le fait de lancer d’importants travaux d’infrastructure pour soutenir l’économie. C’est ce qu’avance Gabriel Giguère, analyste senior en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal.
«Notre taux de chômage est à un creux historique.», déclare M. Giguère. L’industrie de la construction répète depuis des mois qu’elle va manquer de main-d’œuvre. À son congrès 2024, l’ACRGTQ tenait le 24 janvier un atelier animé par le Conseil du patronat du Québec où l’on faisait état de 9000 postes vacants dans la construction au troisième trimestre de 2023. En octobre 2021, l’Association de la construction du Québec publiait une étude statuant qu’il manquait 20000 travailleurs pour répondre à la demande.
Par ailleurs, «en pleine crise du logement, créer des emplois dans les infrastructures va concurrencer la construction de logements, reprend M. Giguère. Selon lui, on pourrait par ailleurs envisager de laisser le secteur privé lancer de grands chantiers d’infrastructures, comme des barrages hydroélectriques ou encore des oléoducs, lesquels assureraient notamment des débouchés internationaux pour nos produits.
Plus de polyvalence

Gabriel Giguère prône davantage de polyvalence sur les chantiers, une demande de longue date de l’ACRGTQ. «Le gouvernement pourrait facilement diminuer le nombre de métiers à certification obligatoire, insiste-t-il. On en a 26, alors que l’Ontario en compte une dizaine.»
La multiplication des certifications se justifiait par le passé, alors que le taux de chômage était élevé et qu’il fallait protéger les emplois, ajoute-t-il. «Il faut désormais mousser la productivité alors que le bassin de main-d’œuvre est réduit.»
Mais est-ce facile de vendre une telle mesure au sein de l’industrie de la construction, qui est fortement syndiquée? «On est face à un dilemme: mousser la productivité dans un contexte de baisse des effectifs, témoigne-t-il. Le projet de loi 51 du ministre Jean Boulet va dans la bonne direction en offrant davantage de flexibilité.»
L’économiste considère qu’il faudra aussi faciliter la mobilité interprovinciale, car il n’y aurait pas de surplus de travailleurs de la construction au Québec, au contraire!
«Dans un contexte d’incertitude à cause des tarifs, le poids de la réglementation et de la fiscalité se fait sentir, poursuit-il. Les taxes québécoises sur la masse salariale sont les plus élevées au pays.» Il suggère aussi que les municipalités fassent leur part, en diminuant la lourdeur bureaucratique et en assouplissant le zonage.
M. Giguère avance une autre mesure, souvent évoquée par les premiers ministres des provinces canadiennes ces dernières semaines: diminuer les barrières au commerce interprovincial. «Plusieurs mesures seraient assez faciles à implanter, comme l’harmonisation de certains règlements dans le camionnage, insiste-t-il. Si on abaissait toutes ces barrières, le PIB canadien pourrait grimper de 200 milliards de dollars.»
Il faut mousser la productivité alors que le bassin de main-d’œuvre est réduit.
Le prix des matériaux
L’imposition des tarifs se traduira certainement par une hausse du prix des matériaux de construction, surtout ceux en provenance des États-Unis. «Il y aura un impact sur notre économie, surtout si le Canada impose des mesures de rétorsion; c’est inévitable, analyse-t-il. Mais il faudra voir jusqu’à quel point seront touchés les matériaux, dont beaucoup proviennent des États-Unis.»
Nul doute, les consommateurs vont y goûter. M. Giguère évoque une hausse de l’inflation entre 1% et 1,5%, qui s’ajoute à l’inflation actuelle. On va donc s’éloigner de la cible de la Banque du Canada (autour de 2%). La Banque haussera-t-elle les taux d’intérêt en conséquence?
«Les impacts des tarifs ne seront pas immédiats, on verra dans six mois s’ils auront été aussi dévastateurs qu’on le croit aujourd’hui, ajoute-t-il. Je me garderais une petite gêne à faire des prédictions.»
Gabriel Giguère suggère que les gouvernements fédéral et provincial ripostent notamment par une baisse des impôts des entreprises, pour qu’elles soient plus concurrentielles face à celles des États-Unis. Le taux d’imposition sur les sociétés américaines se situe à 15%. Au Québec, il est de 11,6%; au fédéral, il varie entre 15% et 33% selon le type d’entreprises, ce qui fait osciller le fardeau fiscal entre 26,6% et 44,6%. En Suède, paradis de la social-démocratie, on parle de 20,6% (comparativement à 60,1% en 1989). ■