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Comment rendre les routes moins meurtrières pour la faune

Routes et faune ne font pas bon ménage. Comment rendre les premières moins risquées pour la deuxième?

La présence de routes qui quadrillent le territoire québécois cause la mort de milliers de grands et petits animaux. En plus de présenter un risque pour les conducteurs qui entrent en collision avec ces bêtes. Il existe des solutions pour atténuer ce risque et aider à la préservation de la biodiversité. Petit aperçu.

par Stéphane Gagné

 

 

Le problème est sérieux. De 2020 à 2022, le ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMD) a recensé un total de 6952 collisions avec la grande faune (chevreuils, orignaux, ours et caribous) sur les routes de son ressort. Autant de collisions qui mettent à risque les automobilistes. Et on ne recense ici que les collisions avec la grande faune. Pourtant, la mortalité survenue chez les petits animaux et les oiseaux est aussi très importante. Du côté européen, une étude, datant de 2020, évalue cette mortalité à 194 millions d’oiseaux et 29 millions de mammifères sur les routes de ce continent chaque année.

Au Québec, certains tronçons routiers sont considérés comme étant particulièrement dangereux pour la faune. Selon des données du MTMD datant de 2015, sur la section comprise entre les kilomètres 68 et 143 de l’autoroute 10, on recense chaque année en moyenne 90 collisions avec la grande faune (surtout des cerfs et quelques orignaux) et plusieurs centaines d’accidents avec la moyenne faune.

Le problème est si sérieux (il constitue une menace pour la biodiversité) que certains universitaires en ont fait une spécialité, appelée écologie routière.

La plus grande victime de cette hécatombe est le porc-épic d’Amérique. Entre 2012 et 2015, 374 porcs-épics ont été trouvés morts seulement sur la route 175, qui relie Québec à Saguenay, soit 42% de tous les décès recensés. «Cela met en danger l’espèce, car elle a un taux de reproduction faible, elle n’a pas peur des voitures, car elle se croit protégée à cause de ces épines, et elle se déplace lentement», affirme Jochen Jaeger, professeur agrégé au Département de géographie, d’aménagement et d’environnement de l’Université Concordia et spécialiste des passages fauniques.

Passage faunique pour les mammifères de taille moyenne le long de la route 175. La clôture de part et d’autre du passage guide les animaux vers la tablette en béton. Photo: Université Concordia/Dr J. Jaeger

Des solutions au Québec

Au Québec, 33 ouvrages ont été conçus, au début des années 2010, pour permettre le passage de la petite et moyenne faune sous cette même route 175. Des clôtures ont ainsi été installées pour diriger les animaux vers des points de passage sous la route. De manière générale, l’expérience s’est avérée positive, mais une étude réalisée de 2012 à 2015, par Jochen Jaeger et d’autres chercheurs, a démontré que des améliorations seraient nécessaires pour accroître leur efficacité. C’est que plusieurs espèces utilisent peu ou pas ces structures. «Dans plusieurs situations, il faudrait allonger les clôtures, dit le chercheur. La longueur optimale devrait être d’environ cinq kilomètres pour les grands animaux et de deux pour les petits.»

On est 30 ans en retard sur ce qui s’est fait sur [le] continent [européen]. On y construit notamment beaucoup de passages au-dessus des routes, destinés à la grande faune, même s’ils sont plus chers que les passages souterrains. Seulement en Allemagne, on en compte une centaine.

— Jochen Jaeger

Un autre projet, porté par l’organisme de conservation Corridor Appalachien et plusieurs municipalités, est très prometteur. Il consiste en l’aménagement de passages fauniques entre les bornes kilométriques 74 et 121 de l’autoroute 10. Appelé Plan de connectivité écologique, il a fait l’objet d’analyses ces 15 dernières années. Ce plan consiste à améliorer les structures existantes, notamment en les élargissant et en aménageant des passages adaptés aux différentes faunes, soit des passages inférieurs pour la petite faune et des passages supérieurs pour la grande (par exemple, le lynx, le chevreuil, l’ours, le coyote). Un ponceau a déjà été aménagé près de la sortie 115 de cette autoroute, et d’autres sont en cours de planification.

Clôture à faune le long de plusieurs tronçons de la route 175, destinée à guider les mammifères de taille moyenne vers le passage faunique installé au centre des tronçons clôturés. Photo: Université Concordia/Dr J. Jaeger

L’Europe, championne des passages fauniques

Jochen Jaeger rappelle qu’en Europe, il y a beaucoup plus de passages fauniques qu’ici au-dessus et en dessous des routes qui ont été construites. «On est 30 ans en retard sur ce qui s’est fait sur ce continent. On y construit notamment beaucoup de passages au-dessus des routes, destinés à la grande faune, même s’ils sont plus chers que les passages souterrains. Seulement en Allemagne, on en compte une centaine.»

Les parcs éoliens, actuels et futurs, au Québec, auront aussi un impact sur la faune aillée, car les oiseaux peuvent entrer en collision avec les pales en rotation. Pour réduire ce risque, des dispositifs de détection et d’évitement peuvent être mis en place. On peut aussi choisir l’emplacement des éoliennes afin de minimiser les interférences avec les routes migratoires aviaires.