MAGAZINE CONSTAS

Papier ou numérique: quel est l’impact environnemental d’un magazine?

Une réflexion à mener à l’ère de la décarbonation

Plus d’un s’interroge sur la pertinence d’un magazine imprimé à l’ère de la décarbonation et de la transition écologique. Un magazine comme Constas devrait-il se maintenir en format papier ou opter pour une diffusion entièrement numérique?

par Elsa Bourdot

 

 

Loin des idées reçues, ce débat soulève des questions complexes liées au cycle de vie des matériaux, à l’énergie consommée et à la recyclabilité des supports.

Une pollution numérique sous-estimée

Parce qu’il est – au moins en apparence – immatériel, un magazine sur un support 100% numérique a tendance à être perçu comme plus écologique qu’un magazine papier. (Le papier étant perçu comme la somme des arbres qu’il a fallu couper pour le produire.) L’empreinte écologique du numérique est pourtant souvent sous-estimée. Selon l’Agence internationale de l’énergie, les centres de données et les réseaux de transmission représentaient déjà 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) en 2020, et cette proportion pourrait atteindre 8% en 2025, soit l’équivalent du secteur automobile mondial.

La fabrication des appareils électroniques entraîne également une pollution importante. «La phase de fabrication représente entre 50% et 80% de l’empreinte carbone d’un appareil numérique», explique Valérie Levée dans un article réalisé pour le gouvernement du Québec. L’extraction des métaux rares nécessaires aux composants électroniques, comme le lithium et le cobalt, est énergivore et polluante. Par ailleurs, le recyclage des déchets électroniques demeure marginal: selon l’ONU, seulement 20% des déchets électroniques mondiaux sont recyclés correctement.

Le papier: une industrie en mutation

L’industrie papetière, souvent perçue comme très polluante, a par ailleurs réalisé d’importants progrès en matière de développement durable.

Contrairement aux appareils électroniques, le papier est biodégradable et largement recyclé. Au Canada, selon l’organisation Two Sides, le taux de recyclage du papier atteint même 70%, contre seulement 20% pour les déchets électroniques, lesquels ont par ailleurs triplé ces 20 dernières années.

Les émissions de GES imputables à l’industrie papetière au Canada étaient de 7,5 Mt en 2022 et devraient baisser à 4,7 Mt d’ici 2030. Toutefois, comme le souligne Ross Linden-Fraser, chargé de recherche à l’Institut climatique du Canada, dans son analyse, pour 440 mégatonnes (un projet du même institut), cette baisse attendue est surtout liée au déclin économique
du secteur. «Pour réduire ses émissions attribuables aux combustibles fossiles, l’industrie des pâtes et papiers devra probablement compter sur une combinaison d’électrification, de changement de combustible et d’efficacité», explique l’expert. Il poursuit en soulignant que la faisabilité de ces solutions et leur coût relativement bas permettent d’entrevoir la carboneutralité du secteur, voire des émissions nettes négatives. Un horizon qui, à l’heure de l’IA et de ses besoins d’ogre en matière énergétique, remet le débat papier versus numérique en perspective.

Comparer l’empreinte carbone: un calcul complexe

L’impact environnemental d’un support ne se limite pas à sa fabrication. Il faut également considérer son usage et sa durée de vie. Selon une étude citée par Radio-Canada, il faudrait lire au moins 20 livres par an sur une liseuse pour que son bilan carbone devienne plus avantageux que celui du papier.

L’effet rebond complique encore l’analyse. Selon le paradoxe de Jevons, l’efficacité accrue du numérique encourage une consommation accrue, annulant ainsi les gains environnementaux. En d’autres termes, plus on facilite l’accès aux contenus numériques, plus on en consomme, augmentant ainsi la charge énergétique globale.

L’approche hybride

Devant ce constat, le choix entre papier et numérique ne peut être réduit à une opposition binaire. «Plutôt que de s’interroger sur quel support est le plus écologique, nous devrions réfléchir à notre manière de consommer l’information», explique Aurélie Lagueux-Beloin, auteure d’une étude sur l’empreinte carbone du livre.

L’industrie papetière fait des démarches conséquentes pour réduire l’empreinte carbone de ses activités pendant que les industries numériques voient la leur croître massivement avec le développement de l’IA. Une approche hybride semble donc être une solution pertinente: réduction du tirage papier, utilisation de papier recyclé et optimisation de la consommation numérique.