Décarboner et concevoir des infrastructures résilientes: une priorité
Le grand défi du 21e siècle
Le secteur des grands travaux routiers est un producteur important de gaz à effet de serre (GES). Alain Webster, professeur titulaire à l’Université de Sherbrooke et président du Comité consultatif sur les changements climatiques (CCCC), organisme qui conseille le gouvernement sur les mesures à prendre pour atténuer les effets des changements climatiques, a une bonne idée de ce qu’il faudrait faire pour limiter l’impact environnemental de cette industrie. En voici un survol.
par Stéphane Gagné
La construction d’infrastructures énergétiques et autres grands projets nécessitent l’usage de transporteurs lourds qui sont de grands émetteurs de GES. Les projets de parcs éoliens et de barrages hydroélectriques, nécessaires à la transition énergétique envisagée par le gouvernement du Québec, ne sont que des exemples de grands travaux émetteurs de GES.
Alain Webster croit néanmoins qu’il faudra s’attaquer à la décarbonation du secteur (comme d’autres), repenser l’aménagement du territoire, concevoir des infrastructures adaptées à l’inévitable réchauffement du climat à venir et utiliser des matériaux à faible intensité en carbone.
Un défi à relever
Dans le secteur du transport routier, les véhicules lourds sont responsables de plus de 36% de toutes les émissions de CO2. Les émissions des véhicules de ce seul secteur ont presque triplé de 1990 à 2019, passant de 3,6 millions de tonnes à 10,58.
Réduire les émissions de ce secteur et de tous les autres sera le grand défi de ce siècle. Pour y arriver, le Comité a émis une série d’avis destinés au ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP).

Dans ces avis, on mentionne la nécessité d’intervenir dès l’étape des appels d’offres. «Il faut aussi que tous les ministères qui jouent un rôle se sentent concernés par la nécessité de réduire les émissions de GES et adaptent leurs projets en accord avec les changements climatiques», dit le président. Cela pourrait signifier de ne pas construire dans des milieux humides (qui retiennent l’eau et limitent les crues et les sécheresses), de limiter la construction de nouvelles routes, d’utiliser des matériaux à faible intensité en carbone (comme le béton produit avec de l’énergie renouvelable).
Il sera aussi inévitable d’agir sur le plan de l’aménagement du territoire. Un troisième avis du Comité, publié en avril 2022, mentionne la nécessité de remplacer les carburants fossiles par l’électricité dans le transport routier, incluant le transport lourd. Selon l’avis, cette substitution ne sera toutefois pas suffisante. Il faudra qu’elle soit accompagnée d’une plus grande efficacité énergétique et d’une réduction de la demande totale.
Des feuilles de route dans cinq secteurs
En 2020, le Québec s’est doté d’une politique-cadre sur la lutte contre les changements climatiques et l’électrification, appelée Plan pour une économie verte 2030 (PEV). Ce plan devait permettre d’intégrer les défis climatiques dans l’ensemble des politiques publiques.
Or, selon le document Bilan et perspectives de la lutte contre les changements climatiques au Québec, publié par le CCCC au printemps 2024, cette démarche est insuffisante et pourrait être plus efficace si on élaborait de nouveaux outils de gouvernance pour accroître l’efficacité de l’action gouvernementale.
Pour beaucoup d’entreprises, la question de l’adaptation aux changements climatiques ne figure pas dans leurs priorités.
L’un de ces outils identifiés est l’établissement de feuilles de route. Il détaillerait les mesures de réduction des émissions et de sobriété énergétique pour les cinq principaux secteurs d’émissions (transports, industrie, bâtiments, agriculture et gestion des matières résiduelles).
Le secteur des grands travaux serait ainsi partie prenante du processus.
Ces feuilles de route sectorielles seraient un puissant outil de transparence et de reddition de comptes. En plus de faciliter la cohérence de l’action gouvernementale entre le MELCCFP et plusieurs ministères (ex.: Transports et Mobilité durable, Affaires municipales et Habitation), elles permettraient à ces ministères de concevoir des stratégies de décarbonation et d’adaptation sectorielles.
Selon Alain Webster, il faut mettre en place un volet d’accompagnement auprès des PME, car pour beaucoup d’entre elles, la question de l’adaptation aux changements climatiques ne figure pas dans leurs priorités.
Bien sûr, les grands donneurs d’ouvrage comme Hydro-Québec et le ministère des Transports et de la Mobilité durable ont leur propre démarche d’adaptation aux changements climatiques, mais M. Webster croit que toutes les entreprises devraient avoir fait ce cheminement et avoir leurs propres mesures d’adaptation. ■