MAGAZINE CONSTAS

Une gestion pointue des infrastructures

Ville de Saguenay. Rencontre avec Luc Côté, directeur du Service du Génie.

Constituée par décret le 18 février 2002 de la fusion des villes de Chicoutimi, Jonquière, La Baie, des municipalités de Laterrière, Lac-Kénogami, Shipshaw et d’une partie de la municipalité de Canton-Tremblay, Saguenay est la capitale régionale du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Sa dimension, sa population, son dynamisme impliquent un vaste réseau d’infrastructures et surtout un système de gestion de ce réseau qui doit s’adapter à son territoire considérable et aux besoins diversifiés qui en découlent. Pour en savoir plus, nous avons rencontré le directeur du Service du Génie à la Ville de Saguenay, l’ingénieur Luc Côté.

Par Jean Brindamour

L’engagement 43 de la Politique nationale de l’eau, adoptée par le gouvernement Landry en 2002 stipulait : « Le gouvernement exigera, de façon graduelle d’ici 2007, que toute demande d’aide financière pour la réa­lisation de travaux d’infrastructures soit appuyée par une mise en priorité des travaux à effectuer à partir d’un plan d’intervention.» Luc Côté précise que « depuis un peu plus de dix ans, la Ville de Saguenay a établi un système de gestion des infrastructures qui a amélioré la connaissance de l’inventaire et de l’état de ses infrastructures. Bien sûr, il faut pouvoir alimenter un tel système de données pertinentes et exactes, fournies par des relevés, des inspections, par les plaintes et requêtes reçues et par l’expérience sur le terrain du service des travaux publics. »

La notion de risque est aussi très importante dans l’élaboration d’un plan d’intervention, souligne Luc Côté. Deux notions sont à envisager : la probabilité d’une déficience et ses conséquences possibles.

La plus récente édition du Plan d’intervention de la Ville de Saguenay remonte à novembre 2015. On y trouve une somme d’informations considérables. « Il a permis avant tout d’identifier, commente Luc Côté, les travaux prioritaires qui devaient être réalisés à court terme, peu importe le réseau ou l’infrastructure d’aqueduc, d’égout ou de voirie. » Mais cela va plus loin qu’une simple liste de priorités : « C’est un excellent outil de planification et de stratégie d’investissements pour la Ville », juge M. Côté, spécifiant que « pour le découpage et la segmentation de tous ces réseaux, le Plan d’intervention dresse un bilan d’état de plus de 8500 tronçons de près de 200 mètres linéaires chacun ».

VILLE DE SAGUENAY. Vue satellite (Google Earth)

Hiérarchisation des infrastructures

Saguenay est la 8e plus grande ville au Québec, avec environ 146 000 habitants (pratiquement nez à nez avec Lévis au 7e rang), une des dix villes québécoises dépassant les 100 000 habitants. Ce milieu urbanisé comporte plusieurs secteurs moins peuplés, son territoire, d’une superficie de 1 290 km2, étant de loin le plus étendu des villes québécoises de plus de 50 000 habitants. En comparaison, la Ville de Québec a une superficie de 454 km2. « Le réseau d’aqueduc est d’une longueur de 1 121km, précise l’ingénieur, 842km d’égouts pour les eaux usées, 477km pour les eaux pluviales et 1 617 km de chaussées. »

« Les outils d’aide à la décision utilisés et développés par le service du Génie de la Ville de Saguenay, résultats du travail acharné de toute l’équipe et de l’appui de la direction générale, permettent de mieux conseiller l’organisation. Un addenda au Plan d’intervention a même été accepté récemment par le MAMOT permettant à la Ville de prioriser des nouvelles interventions, sur la base des nouvelles informations qui entrent en continu. »

Au-delà de 75 % du réseau est sous la responsabilité de la Ville de Saguenay : « Environ 1245 km, le reste étant sous la juridiction du ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports (MTMDET) ou relevant du privé », indique M. Côté.

Hiérarchisation globale des réseaux d’infrastructures de Saguenay en pourcentage

 

« On trouve dans ce plan, ajoute-t-il, une hiérarchisation de l’ensemble des infrastructures en trois catégories : important, moyen et faible. Il va de soi que l’impact d’un défaut sur une infrastructure est différent selon l’importance d’une infrastructure et les risques encourus en cas de défaillance de celle-ci. Évidemment cette hiérarchisation utilise des paramètres différents selon la nature de l’infrastructure. Pour les conduites d’eau potable, par exemple, trois paramètres sont utilisés : leur diamètre (0 à 200 mm est catégorisé faible, 201 à 299 km, moyen et 300 mm et plus, important), le type de conduite (une conduite d’alimentation d’eau potable est considérée importante et une conduite de distribution, faible) et finalement leur vulnérabilité (une conduite principale desservant un secteur non bouclé est classée importante; celle desservant un secteur bouclé avec une perte du niveau de service est classée d’importance moyenne et toutes les autres d’importance faible).

La hiérarchisation dans le réseau d’égouts est également faite selon trois paramètres (diamètre, type de conduite et type d’égout). Le niveau le plus important est attribué lorsqu’une conduite est hiérarchisée importante dans deux catégories. Quant aux chaussées, la hiérarchisation est fondée essentiellement sur le type de rue (les artères au niveau le plus élevé, les routes collectrices d’importance moyenne, les autres rues étant classées d’importance faible » (voir la hiérarchisation globale des réseaux d’infrastructures de Saguenay en pourcentage sur le tableau de la page précédente).

« Mais la notion de risque est aussi très importante dans l’élaboration d’un plan d’intervention, souligne Luc Côté. Deux notions sont à envisager : la probabilité d’une déficience et ses conséquences possibles. Ainsi dans le cas des chaussées de la Ville de Saguenay, on a considéré la santé et la sécurité du public, les conséquences sociales et monétaires, l’achalandage et le débit de véhicules sur la route étudiée, les transports collectifs et les véhicules lourds, la vocation d’une chaussée, la population desservie, les difficultés d’accès de cette route, la congestion et les perturbations de la circulation qu’entraînerait une déficience, et les dommages aux biens. » On peut deviner que certains de ces critères s’appliquent également aux autres types d’infrastructures.

Ce tableau est basé sur les données du Plan d’intervention pour le renouvellement des conduites et des chaussées 2016 et des mises à jour effectuées avant février 2017. L’inspection des conduites d’égouts porte sur environ 225 km (+/- 17%). (1) Auscultations / inspections des chaussées 2015 disponibles (voir Bilan d’état du réseau routier pour tronçons prioritaires). (2) Si des travaux en surface sont planifiés, prévoir des interventions ponctuelles au préalable sur les infrastructures souterraines. (3) Réhabilitation seulement de l’infrastructure désuète. Des rapiéçages de pavage seront visibles en surface après les travaux. (4) Chaussée « C ou D », par contre un projet de réfection majeure entraînerait la réfection de réseaux parallèlles en bon état. Ces travaux entraînent une réfection partielle de la largeur du pavage.

Cueillette des données

La cueillette des données est évidemment le nerf de la guerre. « Dans le Plan d’intervention précédent, signale Luc Côté, on pouvait prioriser certains segments d’égouts parce qu’on supposait des défauts structuraux ou qu’on s’appuyait sur des critères comme les matériaux des conduites, leur année d’installation ou sur l’état des réseaux avoisinants ou de nature semblable. Maintenant, il faut nécessairement qu’une caméra tractée ou une caméra à télé-objectif (avec zoom) pour les plus grands diamètres (ce qui est moins coûteux) puisse juger de façon concluante tous les défauts structuraux et fonctionnels d’une section d’égout. » Notons que le ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMOT) oblige les municipalités à inspecter en priorité 100 % des conduites qui ont atteint 90 % de leur vie utile (ou DVU), et 100 % des conduites de plus de cinquante ans d’ici 2025.

Il importe bien sûr de financer de telles inspections : « Ces inspections, qui se réalisent par des contrats de plus ou moins 200 000 $ par an, sont également admissibles à des subventions telles que celle offerte par le Programme de transfert de la taxe sur l’essence pour les travaux de priorité 2 : “Études visant à améliorer la connaissance des infrastructures municipales” », signale M. Côté. Rappelons, pour le bénéfice de nos lecteurs, que par ce programme, fruit d’une entente signée en 2014 entre les gouvernements du Québec et du Canada, une partie des taxes sur l’essence est remise aux municipalités pour leurs infrastructures d’eau potable, d’eaux usées, de voirie locale et d’autres types d’infrastructures. Les municipalités se partageront ainsi une somme de 2,67 G$ répartie sur les années 2014 à 2018 inclusivement. Pour la Ville de Saguenay, la contribution gouvernementale pour cette période s’élève à près de 42,6 M$.

Les données sur les chaussées

Et les données sur les chaussées ? « Lors de l’inspection de 2011, la cote globale d’état des chaussées, souligne M. Côté, a été basée principalement sur une méthode d’auscultation et d’appréciation plutôt subjective par un calcul qui tenait compte essentiellement de la fissuration, de l’orniérage et du confort au roulement. Un contrat a été octroyé en 2015 à Groupe Trifide pour une image des routes de Saguenay qui applique une toute nouvelle méthode normée éliminant toute trace d’ambiguïté et de subjectivité. Les inspections visuelles sur le terrain ont porté sur le ressuage, le désenrobage et l’orniérage. La cartographie mobile TRFIDE de niveau 1 a été utilisée pour obtenir des images terrestres. Une deuxième inspection des défauts a été faite à partir de ces images géo-référencées pour les fissurations de type carrelage, les fissures longitudinales et transversales, les rapiéçages et les nids-de-poule. »

Ces nouvelles données sont disponibles depuis 2016. «Cela n’a pas été facile, poursuit le directeur, de comparer les résultats de 2011 et de 2015, mais le Service du Génie a pu produire des graphiques évaluant l’impact des investissements pendant cette période. La Ville de Saguenay possède maintenant les outils pour suivre les investissements et en mesurer leurs impacts. Mais il faudra une fréquence d’auscultations plus élevée, idéalement aux trois ans. La nouvelle méthodologie semble en place pour durer. Une inspection des chaussées planifiée en 2018 permettra de mesurer l’impact des dernières années et valider la stratégie établie en 2015. Depuis quelques années la Ville de Saguenay investit environ 16 millions $ directement ou indirectement par année sur son réseau routier. Non seulement, cela a permis de freiner la dégradation globale du réseau routier, mais depuis 2015 la cote globale s’est légèrement améliorée. »

Un plan validé et perfectionné

Quant au plan d’intervention, qui devrait sous sa forme actuelle demeurer inchangé de nombreuses années, une mise à jour permanente des données a été prévue pour la Ville de Saguenay et pour les utilisateurs du Plan: « Au moment des travaux d’entretien, indique M. Côté, les anomalies avec les plans doivent être rapportées lorsque découvertes. Le Service du Génie peut aussi procéder à des relevés sur place durant l’excavation. Lors des relevés d’arpentage, les techniciens doivent en profiter pour valider les informations sur le réseau. La liste des fuites dans les conduites doivent être remises à tous les mois au Service du Génie par les Travaux publics. Et ce devrait être la même chose pour les refoulements d’égouts et le registre des requêtes. »
« Les outils d’aide à la décision utilisés et développés par le service du Génie de la Ville de Saguenay, résultats du travail acharné de toute l’équipe et de l’appui de la direction générale, permettent de mieux conseiller l’organisation. Un addenda au Plan d’intervention a même été accepté récemment par le MAMOT permettant à la Ville de prioriser des nouvelles interventions, sur la base des nouvelles informations qui entrent en continu. Un “Mécanisme d’établissement des travaux prioritaires” (voir le tableau p. 46-47) a été créé à l’interne afin de cibler les meilleurs choix d’investissements en réhabilitation ou en réfection, parmi une longue liste de travaux méritant une attention immédiate », conclut Luc Côté. •