Transfert de risque et droit de la construction
Talon Sebeq a gain de cause en Cour d’appel
Chronique juridique / Avis de cour
Le 7 mars 2017, la Cour d’appel a rendu une décision dans l’affaire Procureure générale du Québec (MTQ) contre Talon Sebeq, confirmant le jugement du 25 juin 2015 de la Cour supérieure qui condamnait la Procureure générale du Québec à payer 1 592 780,99 $ à Talon Sebeq inc.
Par Jean-Pierre Dépelteau*
Comme il est admis que les travaux ont été exécutés par Talon Sebeq conformément au contrat, ce dernier n’a aucune responsabilité pour une quelconque garantie de durabilité ou obligation de performance.
Cette décision est importante puisqu’elle traite de l’obligation de résultat et du transfert de risque dans le contexte du droit de la construction. La Cour d’appel confirme que l’intensité de l’obligation de résultat est établie en fonction de l’analyse du contrat lui-même. Ainsi, selon les termes du contrat, l’obligation de résultat de l’entrepreneur se limite à faire les travaux correctement et selon les spécifications du devis. Aussi, la Cour d’appel précise que si un certain risque dans le réseau routier veut être transféré à l’entrepreneur, le MTQ, expert en matière de gestion, d’entretien et de conception du réseau routier au Québec, doit s’assurer de dévoiler la connaissance de ce risque à l’entrepreneur et de transférer ce risque par une clause expresse de garantie, de durabilité ou de performance.
Expertise considérable du MTQ
Le cahier des charges, le devis et le contrat ont été conçus et écrits par les ingénieurs et dirigeants du MTQ qui dispose de plus de moyens et de compétences techniques. La décision relative au choix de l’enrobé coulé à froid (ECF) fut celle du MTQ et ce sont ses experts qui ont écrit toutes les spécifications apparaissant au devis. Le juge de première instance a d’ailleurs qualifié ces derniers de « sommités » en la matière.
Voici comment s’exprime la Cour d’appel quant à l’expertise du MTQ à cet égard :
« Au Québec, le MTQ gère le réseau routier et possède les connaissances relatives à son état et à son usage susceptibles de l’affecter dans les différentes régions de la province, telles que les variations climatiques, les procédés de déneigement, l’épandage de sels ou d’abrasifs (quantité et fréquence), la qualité de la chaussée, l’intensité de la circulation, le ratio véhicules/camions, la fréquence horaire des usagers, etc. Au surplus, le MTQ assure la réglementation du réseau routier pour en contrôler l’usage; il est en conséquence celui qui devrait connaître les pratiques régionales des automobilistes qui utilisent les pneus munis de crampons métalliques. La responsabilité de Talon Sebeq doit donc être examinée sous l’éclairage de l’expertise considérable du MTQ en ces matières.»
Aucun transfert de risque
Le MTQ était celui qui devait connaître les pratiques régionales des automobilistes qui utilisent les pneus munis de crampons métalliques. La preuve révèle d’ailleurs que le MTQ était conscient qu’il existait des risques importants dans l’usage de l’ECF dans la région de Saguenay.
Le MTQ aurait pu choisir de transférer ces risques à l’entrepreneur. Dans ce cas, il aurait été nécessaire de dévoiler les risques, ce qui n’a pas été fait (para. 23 du jugement).
Tel que l’exprime la Cour d’appel, le choix de ne pas dévoiler ces risques au soumissionnaire n’est pas sans conséquence. Le MTQ aurait pu choisir de transférer ces risques à l’entrepreneur. Dans ce cas, il aurait été nécessaire de dévoiler les risques, ce qui n’a pas été fait (para. 23 du jugement).
Obligation de résultat
La Cour d’appel affirme que le contrat impose à Talon Sebeq une obligation de résultat. Cependant, la Cour d’appel précise que l’intensité de cette obligation est établie en fonction de l’analyse du contrat lui-même.
La Cour d’appel conclut que l’obligation de résultat qui incombait à Talon Sebeq était d’effectuer correctement les travaux selon les spécifications du devis; tel était le « résultat ».
Comme il est admis que les travaux ont été exécutés par Talon Sebeq conformément au contrat, ce dernier n’a aucune responsabilité pour une quelconque garantie de durabilité ou obligation de performance.
La Cour d’appel (tout comme la Cour supérieure) met l’emphase sur le fait que le MTQ savait fort bien comment proposer un contrat avec garantie, mais il ne l’a pas fait en l’espèce. Par conséquent, Talon Sebeq avait une obligation de résultat quant à l’exécution des travaux (conformité au devis), mais aucune obligation de performance ou de durabilité ou de garantie face à un risque qu’il ne connaissait pas et qui ne lui avait pas été transféré.
Voici comment s’exprime la Cour d’appel à cet égard : « S’il est vrai que le contrat initial impose à Talon Sebeq une obligation de résultat, l’intensité de cette obligation est établie en fonction de l’analyse du contrat lui-même. Dans ce cas-ci, le juge de première instance a conclu que l’obligation de résultat s’étendait à la réalisation des travaux requis selon les plans et devis et non pas à une garantie de durabilité de l’ECF face à un risque – l’usage intensif de pneus à crampons– qui n’était ni connu par l’entrepreneur ni prévu par le MTQ. La PGQ ne nous a pas convaincus que le juge de première instance a commis une erreur révisable en concluant ainsi.»
* Jean-Pierre Dépelteau est associé chez Dentons Canada S.E.N.C.R.L.