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Géosynthétiques: pourquoi leur potentiel reste-t-il sous‑exploité au Québec?

Les défis à relever sont nombreux pour permettre une adoption plus large

Réputés à l’international pour optimiser la construction d’infrastructures, les géosynthétiques demeurent peu utilisés au Québec. Manque d’outils, spécifications incomplètes ou inexistantes et formation limitée: il reste des écueils à surmonter qui empêchent pour l’instant une utilisation à plus grande échelle de ce type de matériaux.

par Elsa Bourdot

 

 

Photo: Solmax

Des matériaux performants et polyvalents

Les géosynthétiques regroupent une gamme de matériaux techniques, ou plutôt des matériaux d’ingénierie, conçus notamment pour renforcer, stabiliser ou protéger les infra­structures. «Il y a différents types de géosynthétiques pour répondre à différents problèmes: certains améliorent la stabilité des sols, d’autres limitent les besoins en excavation et/ou contribuent au contrôle de l’érosion», explique Johanne La Roche, ingénieure aux Services Techniques chez Solmax.

Parmi les produits les plus courants, on trouve les géotextiles, les géogrilles et les géomembranes, souvent utilisés dans la construction routière ou les ouvrages de génie géotechnique. «Ces matériaux sont conçus pour offrir des propriétés constantes, maîtrisées et prévisibles», ajoute Mme La Roche.

Des freins techniques et structurels

Si les géosynthétiques font partie des solutions privilégiées dans d’autres provinces canadiennes et à l’étranger, leur intégration au Québec progresse lentement. Plusieurs facteurs peuvent en être la cause, à commencer par le manque de connaissances techniques chez les concepteurs. «Durant la formation universitaire, on aborde peu ces types de matériaux d’ingénierie, contrairement au béton ou aux matériaux granulaires», souligne Mme La Roche.

Johanne La Roche, ingénieure aux Services Techniques chez Solmax. Photo: Solmax

Ce déficit de connaissances s’accompagne d’outils de conception encore incomplets. Le logiciel Chaussée 2 du ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMD), utilisé pour le dimensionnement des routes, n’intègre pas encore le renforcement structural offert par les géosyn­thétiques dans ses calculs. Or ce logiciel constitue une référence essentielle pour les ingénieurs et les municipalités. «Sans outils adaptés, il devient plus difficile d’évaluer l’apport des géosynthétiques de manière systématique», précise-t-elle.

 

Enfin, la révision des pratiques demande du temps. Par exemple, les spécifications actuelles du MTMD, influentes dans l’ensemble du secteur, n’incluent qu’un type de géotextile de renforcement comme solution standard utilisée dans ses infra­structures. Toutefois, des démarches sont en cours pour faire évoluer ces normes: «Nous avons déposé une demande de modification conforme au processus du MTMD, et les discussions avancent bien, indique l’ingénieure. Les premières étapes sont encourageantes.»

Des gains concrets pour les infrastructures routières

Lorsque les géosynthétiques sont intégrés à un projet, les bénéfices techniques et environnementaux sont mesurables. Dans le cas d’infrastructures routières, un géotextile tissé peut stabi­liser les sols tout en réduisant l’épaisseur des matériaux granulaires nécessaires. «Dans certains contextes, cela peut repré­senter une économie de 30 à 50 centimètres de gravier», précise l’ingénieure.

Cette optimisation a un double effet: elle limite l’extraction des matériaux, souvent transportés sur de longues distances, et elle réduit les émissions de carbone associées au camionnage. «Cela devient particulièrement pertinent dans les régions où les ressources locales s’amenuisent, comme c’est le cas autour de Montréal», ajoute-t-elle.

En parallèle, ces matériaux contribuent à prolonger la durée de vie des infrastructures. Leur résilience face aux conditions climatiques, notamment les cycles de gel-dégel, est un atout majeur pour le contexte québécois.

Ces projets montrent que les géosynthétiques offrent des solutions efficaces, en complément des méthodes traditionnelles.

— Johanne La Roche

Vue d’un projet d’infrastructure utilisant des géosynthétiques. Photo: Solmax

Des projets concrets pour démontrer le potentiel

Deux projets québécois récents illustrent les applications possibles des géosynthétiques. À Bécancour, un projet d’infrastructure portuaire a permis d’optimiser les matériaux granulaires tout en renforçant la structure et en améliorant le drainage. Un autre projet, dans une municipalité de taille moyenne du Québec, visait à stabiliser une route sur un sol argileux particulièrement difficile tout en maintenant le niveau final de la route.

«Ces projets montrent que les géosynthétiques offrent des solutions efficaces, en complément des méthodes traditionnelles», résume Johanne La Roche. Bien que ces réalisations restent ponctuelles, elles posent les bases pour une adoption plus large et systématique.

Une évolution progressive mais inévitable

Au Canada, plusieurs provinces, comme l’Alberta et la Nouvelle-Écosse, ont déjà intégré les géosynthétiques dans leurs spécifications techniques. Le Québec pourrait s’inspirer de ces pratiques pour en accélérer le développement. «Nous ne partons pas de zéro: des méthodes éprouvées existent ailleurs. Il suffit de les adapter à nos besoins», souligne Mme La Roche.

À court terme, les démarches de sensibilisation se multi­plieront. Présentations techniques, projets pilotes et colla­borations avec les acteurs publics figurent parmi les solutions envisagées pour combler le retard. «La prise en compte des émissions de carbone dans les projets d’infrastructures pourrait être un levier important, avance l’ingénieure aux Services Techniques chez Solmax. C’est déjà le cas en Europe, où ces solutions sont beaucoup plus courantes.»

Sans outils adaptés, il devient plus difficile d’évaluer l’apport des géosynthétiques de manière systématique.

— Johanne La Roche

Si l’adoption des géosynthétiques est progressive, elle semble appelée à s’accélérer dans les prochaines années. «Les besoins en infrastructures durables et en optimisation des ressources naturelles ne feront que croître», conclut Mme La Roche. ■

Johanne La Roche tient à remercier Laurent Darveau (Responsable des relations d’affaires en ingénierie à Solmax) et Éric Blond (consultant en géosynthétiques) pour la préparation de l’entrevue liée à cet article.