L’hydroélectricité : 150 ans d’histoire
Une énergie encore de son temps
Devant la menace grandissante des changements climatiques, plusieurs pays se tournent vers l’hydroélectricité comme source potentielle d’énergie verte. De nouvelles centrales hydroélectriques sont régulièrement construites partout dans le monde, plus particulièrement en Afrique et en Asie, et la Chine a même quadruplé sa production d’hydroélectricité dans les 20 dernières années.
par Sophie Croteau
Si on n’a pas pu trouver l’origine exacte de la première utilisation de l’énergie hydraulique, on a découvert des traces de son exploitation depuis la Grèce antique jusqu’à la Chine, il y a plus de 2000 ans, où elle servait avant tout à moudre des grains et des minerais et à produire de la pâte à papier.
Mais ce n’est qu’au 19e siècle, avec la découverte de l’électricité et l’élaboration de nouvelles méthodes pour la produire, que l’eau apparaît rapidement comme une énergie à exploiter. C’est ainsi qu’en 1827, l’ingénieur français Benoit Fourneyron invente la première turbine hydraulique, alors capable de produire six chevaux-vapeur. S’appuyant sur ce modèle, l’ingénieur britannique James Francis en produira en 1849 une version améliorée, dont on se sert encore aujourd’hui.
Toutefois, à l’époque, l’électricité est encore une innovation peu répandue, qui est réservée aux plus fortunés et aux scientifiques. Sa première occurrence publique a eu lieu quand on a installé des lampadaires électriques, plutôt qu’au gaz, après qu’un prototype eut été présenté à l’Exposition universelle de Paris de 1878. Les grandes villes d’Europe et d’Amérique du Nord se sont alors lancées dans une course à l’électrification des espaces publics, rendant ainsi l’accès à cette source d’énergie plus facile pour les propriétés privées. L’hydroélectricité se présente alors comme une ressource idéale pour fournir les demandes grandissantes en énergie, et on développe des plans de grandes centrales hydroélectriques, qui fonctionnent sur un principe toujours d’actualité 150 ans plus tard : un barrage contrôle le débit d’un cours d’eau à l’aide d’un réservoir, puis laisse passer son eau dans des turbines qui produisent de l’énergie, ensuite stockée dans une centrale, pour être par la suite distribuée.
Au Québec, 94 % de l’électricité consommée provient de l’hydroélectricité, contre une moyenne de 16 % dans le reste du monde.
Dans les années 1880, les premières centrales sont construites un peu partout au Canada et aux États-Unis, dont sur la rivière Chaudière à Ottawa en 1881 et à la chute Montmorency en 1885. L’électricité est même transportée jusqu’à la ville de Québec, qui devient l’une des premières villes d’Amérique utilisant l’énergie hydraulique pour s’éclairer. On voit émerger au début du siècle suivant des sociétés d’électricité privées, qui construisent des centrales pour les municipalités ou leurs propres entreprises. Au Québec, des promoteurs américains fondent la Shawinigan Water and Power Company en 1898, pour aménager un total de huit centrales hydroélectriques sur la rivière Saint-Maurice. En 1922, on construit une centrale à l’île Maligne, au Saguenay, pour fournir les usines de pâtes et papiers et l’aluminerie d’Alcan. Quelques années plus tard, on bâtit des barrages dans la région de Gatineau, sur la rivière des Outaouais, et à Beauharnois, pour fournir en électricité la région de Montréal.
Avec le temps, on remarque toutefois des disparités grandissantes entre les tarifs et la qualité du service reçu, au désarroi des clients qui en subissent les conséquences. Un peu partout sur la planète, on commence donc à voir des projets de nationalisation de l’hydroélectricité, entre autres soutenus par la construction de centrales de plus grande envergure, qui permettront d’offrir un service sur un plus grand territoire sans fractionner la distribution, en plus du contrôle des prix. Au Québec, on confie en 1944 la gestion de l’électricité à une société d’État, la Commission hydroélectrique de Québec, qui deviendra par la suite Hydro-Québec. Dans les années 1960, on nationalise finalement l’électricité et on fait le pari de l’hydroélectricité au lieu du nucléaire, en lançant la construction de trois immenses centrales dans la baie James, sur la Côte-Nord, et au Labrador. Aujourd’hui, 94 % de l’électricité consommée au Québec provient de l’hydroélectricité, contre une moyenne de 16 % dans le reste du monde.
Bien qu’elle représente une forme d’énergie propre, gratuite, renouvelable et pratique pour les communautés éloignées, elle n’est pas sans conséquences sur l’environnement. L’aménagement de centrales hydroélectriques entraîne des inondations contrôlées, qui sont néanmoins dommageables pour les écosystèmes des cours d’eau et des terres avoisinantes, en plus de forcer la relocalisation de communautés. Le territoire ainsi que la faune et la flore qui y vivent se voient soudainement engloutis, et les nombreux poissons tentant de remonter les rivières sont aussi mis en danger par les turbines qu’ils doivent désormais traverser. On estime en effet qu’un cinquième des poissons seraient blessés ou tués lors de leur passage, et on consacre donc de plus en plus d’efforts à mettre au point des méthodes pour les protéger. Les barrages réchauffent l’eau et diminuent aussi la quantité d’oxygène dans celle-ci, en plus de produire du méthane à cause des matières en décomposition dans les réservoirs, ce qui est non seulement dangereux pour l’écosystème sous-marin, mais aussi un facteur aggravant des changements climatiques.
Une des préoccupations les plus importantes est l’obsolescence des centrales, dont plusieurs approchent la fin de leur durée de vie utile. Certains facteurs accélèrent aussi leur dégradation, comme une accumulation de sédimentation dans leur réservoir ou des problèmes de sécheresse engendrés par les changements climatiques. Depuis le début des années 2000, on voit donc apparaître plusieurs mouvements qui réclament la déconstruction des centrales inutilisées et la restauration de l’environnement, tout en militant pour l’instauration de principes mondiaux pour les constructions futures, basés avant tout sur la communauté et la durabilité. ■
Sophie Croteau est une collaboratrice du balado En 5 minutes sur Qub radio, où a été traité une première fois, par ses soins, le sujet de cet article.
https://www.qub.ca/radio/balado/en-5-minutes